Interview Stefan Eck

Stefan Eck est un « street artist » globe trotter d'origine strasbourgeoise,  Jekyllethyde.fr l'a interviewé.

Street artist, art de rue, graffiti, collages, tags, gravures… Ces mots, autrefois underground et marginaux, définissent aujourd'hui un courant bien difficile à appréhender. Tantôt commercial ou arty, tantôt revendicatif, les avis divergent mais la côte ne cesse de monter. Et, petit à petit, la rue semble belle et bien s'imposer dans les esprits de chacun, comme un lieu d'exposition éphémère et accessible à tous… Cependant cela ne fait-il pas des siècles que l'art de rue existe ?

Stefan Eck lui le sait bien, et même s'il a affuté son style sur le crépis de quelques murs strasbourgeois, c'est au travers de l'art ancestral de la parade, des chars et des défilés qu'il a transcendé son style et sa vision. D'Osaka à New York voilà une dizaine d'années qu'il travaille un univers évolutif, coloré et inspiré en relation directe avec son public.

Salut Stefan, commençons par la sempiternelle question : quelle heure est-il à Toronto ?

Pas loin de minuit… Cela fait plusieurs années que je suis graphiste le jour et illustrateur la nuit. Enfin, depuis que j'ai découvert que mon imagination s'éveillait dans les premières heures de la matinée.

Peux-tu rapidement nous introduire ton parcours ?

J'ai suivi des études à l'université d'art et de design, mais déçu par la formation j'ai rapidement passer plus de temps avec mes pinceaux, ma peinture, et mes perçus qu'à « étudier ».
Aux alentours de 16 ans, j'ai, en parallèle, commencé à construire des structures métalliques pour les défilés, ce qui m'a permis deux ans plus tard de réaliser ma première maquette, et mon premier char. Deux ans plus tard, je suis devenu illustrateur free-lance, mais me suis vite rendu compte que ce qui me motivait réellement était de travailler pour les défilés et les carnavals.
J'ai donc décidé de m'installer au Japon, prenant au passage le poste de directeur artistique pour le carnaval d'Osaka. Un travail intense et diverse qui m'a permis de toucher à tout, de l'organisation, au design de chars… C'est aussi là-bas que j'ai attrapé le bug du « traveller » et ai commencé à bouger de pays en pays chaque année.
Aujourd'hui, je réside à Toronto mais repars pour Tokyo en mars pour une résidence d'artistes.


Lorsque l'on se penche sur tes créations, on est tout de suite frappé par leurs diversités, et que ce soit dans les thèmes abordés que la technique. As-tu néanmoins un thème récurrent, une connexion entre tes œuvres ?

La rivière qui coule le long de mes œuvres et les relie entre elles, c'est la notion de grotesque. Une grande partie des éléments sont directement inspirés des masques tribaux que l'on retrouve partout dans le monde. J'aime la diversité, la culture et l'héritage que ces masques représentent. Je pense aussi que mon travail pioche sa diversité de mes multiples expatriations, grâce aux différentes cultures que j'ai pu côtoyer.

Combien de temps passes-tu en moyenne sur une création ? As-tu un processus particulier ?

Cela dépend vraiment de la méthode que j'utilise… Depuis peu, je me suis concentré sur des dessins d'un format plus petit qui me prennent entre 8 et 10 heures chacun.
En ce qui concerne le processus, je commence généralement au feutre, avant de passer par une étape digitale. J'imprime ensuite chaque élément sur papier afin de pouvoir les manipuler, les arranger, et ré-arranger afin de former un tout cohérent. Ce qui me permet de tout mélanger; le dessin à la main, le digital, l'encre, l'acrylique et le pinceau.
J'insiste cependant pour que la partie digitale reste simplement une extension de mes possibilités, mais ne prenne pas la place de mes premiers amours, la peinture et le dessin.

Quelle est la méthode de travail que tu affectionnes le plus ?

Pendant longtemps je n'ai vraiment travaillé qu'avec des méthodes traditionnelles telles que le sketch, l'acrylique et l'encre. Ce n'est que plus tard que j'y ai introduit l'usage de l'ordinateur afin de pouvoir combiner toutes mes techniques entre elles, me permettant de pousser mes créations plus loin.
Ceci fut une véritable bataille afin de pouvoir revendiquer et légitimer l'authenticité de mes créations – En effet, comment une œuvre créée avec l'aide d'un ordinateur peut-elle être encore considérée comme artistique ?

Ton expatriation au Japon t'a sans aucun doute permis de faire évoluer ton univers… Si tu devais donc retenir une seule chose de ces 5 ans au pays du Soleil Levant, laquelle serait-elle ?

Youkai (les esprits japonais)

En quoi ton travail sur les parades t'a t-il aidé à façonner ton style ?

Lorsque je dois préparer un défilé, ce à quoi je pense en premier, c'est l'immense taille de celui-ci. Créer quelque chose de beau, bien sûr, mais qui plus est d'un format 10 fois supérieur à la normal, et réfléchir à comment cette œuvre pourra toucher les spectateurs lorsque celle-ci aura pris du volume.
Pour moi le grotesque doit avoir le même impact en miniature qu'en gigantesque. Et travailler pour ce genre d'évènement m'a permis d'avoir une meilleure vision de l'impact de mon art sur le public.

Voir ses personnages animés déambuler en chair et en os dans la rue, en rapport direct avec le public, doit être quelque chose d'exaltant et d' incroyablement motivant… Cependant l'art de la parade est moins en vogue en Europe qu'en Asie. A quoi cela est-il dû ?

En effet, c'est très gratifiant de voir son travail dans un défilé, d'autant plus que chaque évènement est très spécial…
Ce qui est fascinant en Europe c'est que le carnaval a gardé un aspect très traditionnel, ce qui nous permet de travailler main dans la main avec les municipalités, afin d'offrir au public un spectacle unique, et interactif, où nait un véritable échange. Au Japon par contre, il existe une différence entre les défilés et les festivals traditionnels, ces derniers étant devenus un véritable ciment entre les groupes sociaux.
Les défilés par contre sont devenus quelque chose de plus commercial, moins ancré culturellement et financés par des structures et des compagnies privées. Celles-ci sont la plupart du temps impliquées dans la création visuelle ou audiovisuelle tels que les programmes TV, et on a donc rapidement l'impression de regarder un film plutôt que de participer à un réel défilé interactif.

De quel œil vois-tu l'immense expansion de l'art de rue (type street art, graffiti…) à laquelle nous assistons actuellement ?

En 1982, Tony Shafrazi a commencé à prendre des street-artists tels que Kenny Sharf, Keith Harring ou Futura 2000 dans sa galerie. C'était à l'époque la première fois que ce genre de travaux recevait une telle « consécration ». Et, à partir de là, ce mouvement s'est propagé telle une trainée de poudre jusqu'à rapidement toucher l'Europe.

Pour ma part, j'ai rencontré le street art en 1988, ce qui n'aurait pas été le cas si une telle médiatisation n'avait pas eu lieu… Autrefois, l'art était considéré comme exclusif et confiné aux galeries. A la fin des année 80, ceci avait changé, la rue avait récupéré l'art et, grâce à une telle consécration, l'avait rendu « légal » et acceptable aux yeux du public.
Le résultat ? L'art de rue est devenu mainstream, et accepté comme une partie intégrante de notre culture contemporaine, où l'art est accessible à tous…

Tu es aussi un artiste particulièrement connecté sur tout ce qui est réseaux sociaux, blogs, sites communautaires, penses-tu que cela représente aujourd'hui un réel + pour les artistes ?

Les sites communautaires sont de fantastiques outils pour l'auto-promotion, surtout lorsque comme moi, on a commencé à peindre dans un petit village isolé en France, bien difficile pour pouvoir collaborer avec d'autres artistes.
L'avènement des réseaux sociaux a cependant eu un effet exponentiel sur l'art, comme on peut le constater aujourd'hui, permettant à chaque artiste d'en inspirer d'autres très facilement. Alors cela a du positif, et du négatif… Et peut-être qu'après une « sur-exposition » envers la « digital trends », le processus de création peut être négligé.

Tu as d'ailleurs dessiné une œuvre « The social indigestion » « à l'effigie » de la boulimie numérique à laquelle notre société est confrontée… N'as-tu pas peur que l'opulence d'informations et la facilité de communiquer aujourd'hui soient une épée de Damoclès risquant d'entrainer à long terme, une grave indigestion artistique ? Ou pire, une disparition de la créativité ?

Je pense que nous sommes déjà passé de l'autre côté, vers un modèle de société « Big Brother », à la Georges Orwell. On ne recherche plus à espionner son voisin, il s'expose de lui-même. N'importe quelles informations sont aujourd'hui volontairement disponibles au travers de réseaux sociaux, à tel point qu'on approche de l'indigestion.
L'humanité est aujourd'hui homogénéisée, digitalisée, et l'on risque de perdre l'art de la même façon… Lorsque celui-ci sera devenu sans saveur et aura développé des standards dans la manière dont nous devons l'appréhender…
Mais, à l'inverse, internet peut aussi développer notre esprit critique, à l'image de certaines communautés d'artistes qui continuent encore de promouvoir l'originalité en restant honnêtes et originales, en allant à contre-courant du mainstream.

Quelle action / œuvre / réalisation, la plus folle, hante tes rêves ?

J'aimerais pouvoir créer et développer de A à Z une parade afin de parcourir le monde. Un peu dans la veine des performances de rue de Royal Deluxe. Et ainsi pouvoir mettre à profit mon expérience et mes idées en collaboration avec d'autres artistes internationaux, à la manière d'un collectif de street art, et un peu similaire à « La caravane des quartiers » de Manu Chao.

Comment décrirais-tu ton univers en un mot ?

Grotesque

Comment définirais-tu la société actuelle en un mot ?

Absurde

Comment définirais-tu le milieu de l'art en un mot ?

Egalitaire

Et enfin je te laisse le dernier mot pour la fin ?

J'aimerais remercier Jekyll et Hyde pour l'énergie qu'ils mettent dans leur magazine, spécialement en ce qui concerne la promotion d'artistes. C'est agréable d'avoir l'opportunité de pouvoir expliquer un peu plus qui je suis et ce que je fais.

Question bonus : Quelle question aurais-tu aimé que l'on te pose ? ( et sa réponse )

Est-ce que la musique tient une place importante dans ton processus de création ?
La musique et la peinture sont inter-connectées et inséparables. Celles-ci représentent un véritable catalyseur, le fuel qui fait fonctionner la machine.
J'en ai d'ailleurs joué pendant longtemps, et regrette parfois que les journées soient trop courtes, ce qui m'empêche de continuer…
Au final c'est un peu comme dans une parade, l'art n'est rien sans la musique.


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3 commentaires

  1. POIROT Catherine le

    Je souhaiterais avoir de vos nouvelles, ici et là, par mail….

    C’est un vendeur de chez Darty à Strasbourg qui m’a parlé de vous et j’aime votre parcours…
    et celui des artistes qui osent

    Celle qui osera bientôt aussi

    Catherine

  2. Salut Stéphane, le net c’est magique et avec le temps la mémoire offre de drôle de surprises, avec mes pensées les plus amicales, Stéphane ex DoubleDrums

  3. sonor s class le

    salut stef…j ai toujours encore ta drum chez moi ,fait moi signe a l occaz si t es dans le coin….a+

    michel cameleon tabatiere magma vander….etc

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