L'affaire fait du bruit chez nos voisins italiens : la RATP, qui gère le métro parisien, a les dents longues et rachète à tour de bras à l'étranger via sa filiale RATP Dev. Déjà présente dans de nombreuses régions d'Italie, la Régie s'attaque désormais à la capitale du pays et tente d'engloutir ATAC, la société publique qui exploite le métro de Rome et les lignes urbaines environnantes. Il faut dire que celle ci, endettée jusqu'au cou, nage dans les scandales et propose à ses usagers un service déplorable.
Une occasion en or pour les partisans de la privatisation des transports, qui pourrait bien commencer par l'exploitation prochaine par la RATP de la ligne Rome-Lido, une petite ligne similaire au métro qui relie Rome à ses plages sur le littoral. Selon le quotidien Il Tempo, la société française mettrait 250 millions d'Euros sur la table, en échange d'une concession de 10 ans. Les rails et les gares resteraient entre les mains de la région, mais pas les bénéfices, qui viendraient directement remplir les poches de la RATP. Les syndicats craignent pour leur part que cette acquisition, si elle se vérifiait, ne soit qu'un début. La gestion de la ligne Rome-Lido serait ainsi le cheval de Troie de la RATP pour s'emparer ensuite des autres lignes.
Quel rapport avec le graffiti ? Aucun à priori. Sauf que cette information plutôt originale tombe en même temps qu'une autre, tout aussi surprenante et qui concerne également la ligne Rome-Lido…
Ainsi depuis plus de 20 ans, la compagnie du métro romain lutte férocement contre le graffiti par tous les moyens possibles et imaginables, notamment grâce à des gardes aux méthodes particulièrement tordues : ils ne sont plus à un procès près pour avoir ouvert le feu sur des graffeurs, et ont pour habitude de recouvrir systématiquement les graffs du métro de messages d'insultes voire de menaces tracés directement à la bombe, comme ici sur ce whole car de Poison, qui avait pourtant pris soin de ne pas toucher aux fenêtres de la rame :
Mais récemment, brusque volte-face : des street artistes assermentés sont chargés de refaire la déco extérieure d'une rame de la ligne Rome-Lido ! L'opération, baptisée Urban Legends, se déroule dans le cadre du festival Avanguardie Urbane 2014, piloté par la galerie 999Contemporary.
Pourtant, pas question ici de faire appel à des graffeurs locaux, et ce ne sont pourtant pas les passionnés et acharnés du métro qui manque à Rome : Un gars comme Poison par exemple…
A la place, la compagnie ferroviaire a choisi de dépêcher sur place 6 artistes français de renom : C215, Alëxone, Epsylon Point, Seth, Popay et Philippe Baudelocque. Pourquoi français, l'histoire ne le dit pas… défiance d'ATAC envers la scène « vandale » locale ? Ou peut-être pour faire plaisir à la RATP future maîtresse des lieux, qui sait !
Toujours est il que la Mairie de Paris est partenaire officiel de l'opération… A quand donc des whole trains en circulation sur les lignes du métro parisien ?
Bien sûr, les œuvres des artistes sont réussies et ne manqueront pas de séduire un large public. Mais c'est dommage que ce qu'en retiennent les médias italiens, c'est que le street art vaut mieux que le graffiti, comme l'explique Il Messaggero :
« Le Street Art plait à tout le monde, il ne peut en rien être comparé au graffiti vandale qui ne fait que salir les lieux publics. Rome renouvelle ainsi sa tradition séculaire en faveur de l'expression artistique, Ce sera aussi une occasion pour les vandales de réfléchir à leur infériorité, comparée à la valeur de ceux qui savent intégrer leur vision artistique dans un contexte urbain, et ainsi enrichir leur environnement. »
Evidemment, il n'en est rien : le street art a ses adeptes, et le graffiti sur train aussi. Mais ce dernier étant une pratique à part qui se veut contestataire et non pas uniquement à but décoratif ou artistique, la rivalité risque bien d'enfler lorsque comme ici le street art est imposé sur une des surfaces de prédilection mythiques des trainistes : le Métro de Rome. il y a d'ailleurs fort à parier que la bataille soit déjà en cours pour savoir qui sera le premier des graffeurs romains à rentrer un throw up très sale sur ce whole train très propre !
Quoi qu'il en soit, les artistes sollicités auraient eu tort de se priver du plaisir de peindre ce métro servi sur un plateau, ce que probablement peu de peintres auraient refusé malgré les polémiques. Espérons simplement que ce projet d'ouverture vers le grand public serve tout de même à ouvrir un peu les yeux des autorités sur la véritable nature des fresques qui nous entourent, qu'on les appelle street art ou graffiti : ce n'est que de la couleur, il n'y a donc pas de quoi fouetter un chat… ni le mettre en prison.
Source photos: Facebook