Génie du Street Art ou comble de la démagogie ? JR va bientôt entrer au Panthéon avec ses photos d'anonymes; les Inrocks mettent les pieds dans le plat et posent la question qui fâche.
Le sujet
Peut-on vraiment critiquer JR ? Peut-on affirmer haut et fort, contre des milliers de visages radieux, souriants, autosatisfaits, collés depuis plus de dix ans sur la misère urbaine des grandes villes et leurs murs nécrosés, le désintérêt massif que nous procure cet habillage visuel ? Et sera-t-on plus avancés une fois qu'on aura dit le caractère profondément démagogique de toute cette entreprise qui trouvera bientôt son apogée au Panthéon : car à partir du 29 mars, après un tour de France photographique permettant à l'artiste de collecter des visages d'inconnus dans son camion itinérant, ces portraits participatifs seront affichés à l'intérieur et sur la façade en restauration du temple républicain. Un sommet d'art engagé !
Le souci
En somme, JR réussit un tour de force : transformer la pratique sauvage et rebelle du graffiti et de l'affichage en un art légal, pompier et officiel. Les pionniers du graff peuvent se retourner dans leur bombe. On a comme oublié qu'au début des années 70, en attaquant de peintures aérosols les trains et métros, les graffeurs du Bronx avaient la sensation d'envoyer au cœur de Manhattan et sur Wall Street des explosifs visuels. Contre la transgression, JR pratique un street art du consensus. Malin, l'artiste est aussi un as du marketing viral de soi, qui fait la publicité de son nom, de sa “marque” avec ces milliers d'anonymes heureux de prêter leurs visages à ce selfie mondial.
Le symptôme
Comme Instagram, JR a tout compris à la photographie de l'âge numérique : l'acte photographique n'est pas dans l'image, mais dans sa circulation, sa mise en réseau, son partage. Son art est d'ailleurs essentiellement “photogénique” : sur les murs de La Havane à Cuba l'été 2012, les installations de ses photos géantes, sans qualité particulière, étaient indéniablement esthétiques. Mais c'est bien le problème : loin de changer le monde, comme l'annonce son projet Inside out, les images de JR ne font jamais qu'enjoliver la misère. C'est beau, mais c'est aussi tellement béat, tellement naïf, tellement superficiel. On peut se faire une autre idée d'un art véritablement politique.