Tristan Mausse s'est récemment rendu au Brésil. A São Paulo, il a pu s'entretenir avec Nave, un pixadore local et nous a communiqués ses impressions de voyage.
C'est en me rendant à São Paulo que j'ai réellement compris le sens du mot fourmilière. Les immeubles, le bruit, les gens, les favelas, les restaurant chics ou encore les effluves de merdes tentant de se frayer un chemin vers la lumière font de cette métropole une salope soumise, prête à tout. Mais en y prêtant bien attention São Paulo ressemblerait plus à une vieille gueuse au litron tatouée sur la gueule, ouais c'est ça. Sao Paulo est une garce tatouée. Où les tatouages seraient remplacés par des lettrages pixaçao. Rien à voir avec du graffiti ici, non. Les Futura 2000 ou les Dondi n'avaient qu'à se tenir.
Nous avons rendez-vous avec Nave dans une rue tranquille de São Paulo mais tout de même bien saignée de pixaçao. Je suis accompagné par mon contact brésilien qui fera la traduction. Après quelques minutes d'attente notre homme arrive enfin dans une Golf noir, il est seul et descend péniblement de sa vieille carlingue.
Nave ressemble à un gros nounours mais a le visage meurtri, ne prête apparemment aucune attention à son apparence et laisse percevoir l'image d'un mec qui a sévèrement morflé et qui est passé par tous les stades que peut comprendre la vie de rue. Il a l'air tout de même amical, et commence à parler sans aucune retenue.
« J'ai commencé à faire du pixaçao en 1994, c'était ma destinée, c'est ce que je devais faire. A la base c'était un acte de rébellion, j'adorais le mouvement punk des 90's, et le pixaçao en faisait partis. C'est d'ailleurs comment ça que le mouvement est née, on a créé un alphabet totalement différent du graffiti classique, est qui n'existait qu'à São Paulo! Pour contrer la culture graffiti, c'est la base du mouvement punk : la contre-culture. Mais le pixaçao c'est une histoire de gangs, j'ai fait partie de mon gang bien avant de commencer à peindre les immeubles. Grife c'est le nom que l'on donne lorsque plusieurs gangs de pixadores s'associent, ça donne plus de force au groupe, mais ça donne aussi plus d'emmerdes ! Quand tu as grandi dans les favelas de São Paulo, intégrer un gang est normal, ça fait partie de ton destin »
Appuyé contre sa bagnole, Nave se retourne et ouvre son coffre. Bouche bée je discerne des centaines de bombes, mais rien d'autre. Un coffre rempli à ras bord de sprays et uniquement de sprays. J'imagine alors très vite le quotidien du bonhomme.
« Les gens ici n'aime pas trop, mais tant mieux. Le pixaçao est fait pour les pixadores. C'est pas du graffiti je te le répète, tu risques gros en faisant ça, en plus des peines de prisons il y a beaucoup de baston entre gangs et règlements de comptes, crois-moi, je sais de quoi je parle. J'ai beaucoup de potes qui sont morts en tombant d'un immeuble, la semaine dernière encore, on était bien haut, putain on était en train de massacrer l'immeuble quand mon pote est tombé d'au moins 30 mètres de haut, il est mort devant mes yeux. Mais comme on dit les pixadores ont 7 vies, je continuerais jusqu'à la mort. »
Il remonte aussi vite que possible dans sa vieille caisse, démarre et se barre, il sera resté 10 minutes juste histoire de rendre service à son pote me dis-je. Nous sommes à présent seuls, toujours dans cette rue gorgée de hiéroglyphes établis avec fanatisme, sacrifice et dévouement. Pixadore jusqu'à la mort !
Pour en savoir plus sur le sujet, le livre Pixacao, Sao Paulo Signature de François Chastanet est disponible ici sur Allcity.fr.