C'est comme une punition qui ne dit pas son nom. Ancien graffeur, Karim Boukercha milite pour que ces documents soient versés aux Archives nationales. Il est soutenu par Costa Gavras, réalisateur et président de la Cinémathèque française :
« Ces documents racontent l'histoire du rap, l'histoire de Paris, mais aussi l'histoire de la peinture. Il serait absurde, voire grave qu'ils soient détruits. »
La RATP demande des centaines de milliers d'euros à 57 tagueurs
Dans cette affaire, 57 personnes sont accusées d'avoir dégradé trains et métros dans les années 2000. La SNCF et la RATP réclament des centaines de milliers d'euros de dommages et intérêts. Le jugement civil sera rendu le 21 juin. Le destin des scellés sera alors tranché. L'autorité judiciaire pourra décider de les confisquer et de les détruire.
Emmanuel Moyne, avocat de deux tagueurs dans cette affaire a demandé que ces documents « soient rendus aux artistes » lors du jugement pénal, en septembre 2009.
« Un book, pour un graffeur, c'est un peu comme la filmographie d'un cinéaste. Les détruire, c'est frapper au cœur », explique Karim Boukercha, auteur d'un livre sur le graff dans le métro, Descente Interdite.
Cette demande a été rejetée dans l'attente du débat sur les dommages-intérêts. Le procureur de la République n'a pas souhaité s'exprimer sur ce sujet.
« Ils ont compris que les books étaient le Saint-Graal pour nous »
Ces scellés représentent plusieurs mètres cubes de photos, carnets de croquis, cassettes, disques-durs… saisis lors de perquisitions, orchestrées par le commandant Jean-Christophe Merle, en charge à l'époque d'une unité de la brigade des chemins de fer. Lui serait ravi que ces documents restent aux mains de la justice :
« A titre personnel, je me réjouis que ces documents ne leur soient pas restitués. Les tagueurs utilisent des pseudos pour se créer une autre identité dans ce milieu. Saisir les books était un moyen de casser cette identité. Les restituer serait leur redonner vie. »
Au début des années 2000, le numérique est loin d'être généralisé, les photos se font à l'argentique, en un seul exemplaire. « Ils ont compris que les books étaient le Saint-Graal pour nous », se désole Thomas G, qui a dépassé la trentaine, comme la plupart des prévenus. Il travaille désormais dans la mode mais cultive toujours sa passion du graff. Et tient à ses œuvres.
Rap UV, 35 ans, qui continue à taguer entre deux petits boulots, sous un autre pseudo, s'alarme :
« Quand on graffe un train, on peut être sûr que ce sera effacé directement. Les images qu'on rapporte sont les seules preuves qu'on ait. »
On expose la beauté du tag dans des galeries prestigieuses, on est face à une sorte de schizophrénie, explique l'avocat Emmanuel Moyne :
“D'un côté, on traîne les graffeurs devant les tribunaux. De l'autre, on expose la beauté du tag dans des galeries prestigieuses. Les sociétés de transport s'en servent même pour améliorer leur image comme l'a fait Thalys, qui a fait appel à des tagueurs pour peindre un train entier en 2009.”
En 2006, Emmanuel Moyne a gagné un procès intenté par la SNCF à des magazines diffusant des photos de trains tagués et obtenu ainsi, une reconnaissance judiciaire de “l'art de la rue”. Pour le commandant Merle, les documents saisis ne représentent “en rien des œuvres artistiques, mais des tags vandales”.
Si on détruit ces images, c'est une part de l'histoire qu'on efface, plaide Karim Boukercha :
“C'est l'histoire d'un courant artistique éphémère, d'une partie de la culture hip-hop, importante pour notre époque. Si le graff doit mourir, il mourra. Mais il faut conserver sa mémoire.”
Photos : “Pour l'Abbé Pierre” en 2007 (Vices/Descente Interdite) ; Ligne 7 en 2000 (Sife et Reyze/Descente Interdite) ; Ligne 6 en 2004 (Azyle/Descente Interdite).
Article : Marion Ablain via Rue89