Hugo Vitrani s'est entretenu avec Alexandre Farto alias Vhils, artiste portugais pour Mediapart.
Alexandre Farto alias Vhils à Paris: l'événement a attiré les puristes des arts urbains, les collectionneurs et les voleurs. Quelques jours après avoir exposé son collage au M.U.R. (lieu d'exposition en pleine rue crée par Jean Faucheur) son œuvre a été découpée et volée.
Murs, affiches, portes en bois et autres surfaces plus ou moins urbaines: Vhils défonce tout sur son passage. A coups d'acide, de peinture bien coulante, d'explosifs ou de marteau-piqueur. Avec ses trois complices barbus et/ou tatoués.
« Je cherche à créer à partir de la destruction. »
De passage pour sa première exposition personnelle en France chez Magda Danysz, l'artiste n'a pas hésité à cogner et griffer quelques murs parisiens pour y sculpter ses portraits. Rencontre fracassante, en vidéo :
« L'histoire est comme un esprit qui frappe aux murs »
écrivait le Prix Nobel Gao Xingjian. Quant on connait celle du Portugal, on comprend pourquoi Vhils, né en 1987 à Lisbonne, a disséqué les murs palimpsestes de l'histoire du monde. Dictature, Révolution des Œillets (1974), entrée dans l'Union Européenne (1986), crise économique: tant d'Histoire encrée dans les murs. Les murs de propagandes. Les murs de résistance, de liberté d'expression. Les murs publicitaires. Les ruines des murs.
Vhils a passé son enfance dans un Portugal en fin de transition, marqué par une confrontation politique et visuelle révélée par les affiches publicitaires neuves et clinquantes qui recouvraient les vestiges des peintures murales aux idées d'extrême gauche et aux couleurs passées. Un clash graphique parasité par l'arrivée d'une scène graffiti bien décidée à en découdre.
« Notre pays était contrôlé économiquement et politiquement pendant soixante ans, et soudain les gens ont commencé à utiliser les espaces publics pour communiquer. (…) Plutôt que d'ajouter moi-aussi de nouvelles couches, j'ai travaillé ces couches de l'histoire pour en faire le reflet de ce qui a déterminé notre identité. (…) J'ai travaillé les murs pour révéler les entrailles de la ville, en la creusant. Sculpter la ville, tout comme la ville nous sculpte, et comme nous la sculptons aussi. »
Une démarche sur l'architecture des villes et leur mémoire qui n'est pas sans rappeler les déconstructions de Gordon Matta-Clark.
Nouvelle école
Avant d'intégrer l'école Central Saint Martins (Londres), Vhils, ex-graffeur de train, a fait son éducation artistique dans la rue et les dépôts: l'école de la débrouille, l'urgence et l'effraction. Cette esthétique radicale et précaire n'a pas quitté Vhils lorsqu'il s'est émancipé des canons très codés du graffiti. Sont alors apparues, sur les murs de friches et quelques blogs très spécialisés, les premières œuvres de Vhils creusées dans les murs.
D'abord conceptuelles, sa série typographique questionnait la représentation que l'on se fait de la réalité, souvent tronquée. Ses punchlines ont ensuite laissé place à des visages anonymes et silencieux, imposants. Un travail inédit dans le milieu, qui va rapidement dépasser le cercle des initiés: du bas de ses 20 ans, Vhils est invité au Cans Festival de Banksy, à Londres. A coté des visages de Vhils: Banksy et sa grotte de Lascaux en cours de karcherisation, histoire de rappeler qu'avec leur politique anti-tag les pouvoirs publics détruisent sans remords un mouvement artistique majeur. Les deux œuvres feront la Une du Times. L'année d'après, Steve Lazaridès, ex-marchand de Banksy, lui ouvrait les portes de sa galerie pour sa première exposition. Plus tard, Vhils se fera remarquer aux cotés de JR à Los Angeles, pour une collaboration saisissante.
« Mieux vaut être schizophrène qu'être mal accompagné. »
rappe Fababy. Avec son entourage, l'artiste n'est pas prêt de finir en HP, et sa cote grimpe déjà à vitesse grand Vhils.
Contrairement aux poids lourds du milieu qui ont pu évoluer dans l'ombre des projecteurs, loin des institutions et du marché qui leur tournaient le dos, les jeunes artistes urbains comme Vhils sont aujourd'hui très tôt repérés, achetés, exposés. Au risque de freiner la créativité et pousser cette nouvelle génération à la répétition de martingales efficaces.
Malgré leur profondeur, certaines œuvres de Vhils sonnent creux, étouffées dans la répétition d'une technique qui fait partie (trop ?) intégrante de l'œuvre. Ses sérigraphies à l'acide où l'artiste superpose des photos de visages et de villes tramées, sur feuilles blanches ou plaques rouillées paraissent bien inoffensives face aux portraits Albinos de Miquel Barceló, à l'eau de javel.
Vhils, chercheur d'art
Le narratif et l'illustratif surgissent parfois dans l'œuvre de Vhils, là ou l'on voudrait s'en passer. En témoigne ce récent mur fait en Espagne: le tronc de l'arbre très prononcé et les silhouettes d'enfants qui courent font tomber à plat la profondeur du visage finement sculpté dans un feuillage clair obscur gravé dans le béton.
La puissance de Vhils, on la retrouve dans ses nombreux portraits in situ, parfois explosifs, ou ses visages aux yeux bridés vers le ciel qui lacéraient les paysages en cours d'urbanisation de Shanghai. Ses œuvres en affiches ont pris de l'ampleur et forment un bloc compact, résultat d'un précieux assemblage de dizaine de couches fragiles, découpées au laser. Des visages blancs, en lambeaux, surgissent dans une saturation de logos, de publicités, d'affiches plus ou moins pornos, de titres de journaux qui évoquent la crise, noyés dans des jeux de lettres et de formes géométriques efficaces. Soucieux de se renouveler, Vhils a présenté sa nouvelle série de portraits-villes. Une œuvre bipolaire, entre visage et skyline de villes en maquette XXL de polystyrène.
Vhils est un jeune chercheur d'art proche du filon. Il y a deux mois, il était à Détroit avec JR. Quelques photos de leur voyage sont publiées sur leurs profils Instagram: archéologues du présent, ils ont fouillé des coffres de banques, des églises et autres architectures fraichement abandonnées. S'ils restent muets sur ce projet qu'ils ne dévoileront pas avant quelques années, Détroit est aujourd'hui le nouveau wall of fame des arts urbains: les meilleurs graffeurs américains s'y succèdent pour redonner de la couleur à cette future ville-fantôme, et révéler l'envers des décors de notre monde en crise.
« L'espace. Etant donné un mur. Que se passe-t-il derrière ? »
interrogeait le poète Jean Tardieu. Banksy, Chaz Bojórquez, JR, Dran, Dash Snow, Shepard Fairey, Blu, Vhils, les graffeurs du Mausolée, le collectif Voina et tant d'autres artistes issus des rues du monde sont une partie de la réponse.