Le Courrier International présente une traduction d'un article du New York Times traitant de la chasse aux graffitis. A défaut de chasse aux sorcières, certains américains cherchent un bouc émissaire dans un contexte économique et politique plus que morose. Guidés par une morale contestable, ils devraient plutôt se soucier de savoir à qui profite le crime et qui empoche le pactole dans cette chasse ouverte au graffiti…
Non loin de l'océan, les coulures encore fraîches de graffitis ornent le dos des plaques de rue. Presque tous les jours, on peut voir de nouveaux gribouillis sur les murs dans la vallée de San Fernando, sur les immeubles du centre de Los Angeles et sur les panneaux publicitaires le long des autoroutes.
Les graffitis surgissent dans les endroits les plus inattendus. Ils fleurissent à foison dans de nombreuses petites villes américaines, de Florence, en Alabama, à Reserve, au Nouveau-Mexique, et dans de plus grandes agglomérations comme Nashville et Portland, dans l'Oregon. De leur côté, les principales métropoles telles que Chicago, Denver, New York et Seattle se disent épargnées jusqu'à présent grâce à leurs constantes campagnes antigraffitis.
« Ils se sont mis à apparaître d'un coup, ces six derniers mois, je suis installé dans le centre depuis dix ans et je suis très déçu de voir ce genre de comportement. Notre ville est magnifique, je suis très affecté par ce phénomène. »
— Tim Sandrel
propriétaire du salon de coiffure Safari Adventures in Hair, à Florence
La tendance préoccupe les autorités municipales, qui se demandent si le fait d'encenser ces productions par des expositions ou des publicités à la télé n'aurait pas contribué au délabrement urbain. La question se pose également de savoir pourquoi ces graffitis prolifèrent à ce point. Certains y voient le signe que l'angoisse et l'isolement gagnent du terrain dans les zones urbaines en difficulté, qui font face au chômage et aux effets persistants de la récession.
Tim Francis, responsable d'un tronçon de 265 kilomètres du Blue Ridge Parkway, une route panoramique en Caroline du Nord, a remarqué un nombre croissant de tags sur les panneaux de signalisation, sous les ponts et le long de la route.
« On voit des tags dans tous les coins sans exception »
A Portland, les services municipaux de lutte contre les graffitis sont désarmés.
« A chaque fois qu'on nettoie un tag, un autre apparaît. Pour deux personnes arrêtées, trois autres les remplacent »
— Marcia Dennis
coordinatrice du service
« Les gens savent que les policiers ne sont pas dans les parages ou qu'ils ont d'autres chats à fouetter »
— Bobby Shriver
membre du conseil municipal de Santa Monica, en Californie
D'autant que certaines villes, confrontées à des restrictions budgétaires, réduisent les sommes allouées aux programmes de lutte antigraffitis. Ainsi, à Los Angeles, le budget de 7,1 millions de dollars consacré à ce poste a baissé de 6,5 % cette année.
Selon des associations de riverains et la police, le phénomène s'explique aussi par la glorification qui a été faite des graffitis, et par des expositions contestées consacrées à ce mode d'expression. Ainsi, une grande exposition consacrée aux graffitis au musée d'Art contemporain de Los Angeles (MoCA) cet été a suscité une polémique.
« Pour beaucoup, les tags sont une forme d'art. Des gens gagnent de l'argent en créant des tee-shirts décorés de graffitis. C'est la culture pop. »
— Ramona Findley
inspectrice de police qui dirige l'unité de lutte antigraffitis de Los Angeles
Malheureusement, constate Marcia Dennis, de Portland :
« les graffeurs sont tous persuadés qu'ils vont devenir millionnaires, comme Marc Ecko, Banksy ou Shepard Fairey. »
Les tags ne sont plus l'apanage des gangs. Les profils des délinquants sont aujourd'hui plus variés, les graffeurs considérant leur quartier comme une toile grandeur nature.
« Nous avons aujourd'hui des graffitis en grand nombre dans des zones qui ne posaient pas problème auparavant »
— Paul Racs
« Ce sont surtout des graffeurs qui se baladent sur leur skate. »
Malgré la réduction des budgets, les grandes villes ont dû trouver des moyens de renforcer leurs actions. Los Angeles a notamment créé une base de données sophistiquée d'identification des graffitis et, à Portland, les patrouilles à pied ont été rétablies dans le quartier de Brooklyn.
« Quatre ou cinq agents quadrillent les rues une fois par semaine à la tombée de la nuit avec un kit de nettoyage »
…explique Michael O'Connor, qui dirige l'association du quartier, Brooklyn Action Corps.
« On a vu quelques nouveaux graffeurs qu'on aimerait bien prendre la main dans le sac. »
Un court reportage sur la controverse alimentée par la sortie d'un livre intitulé Next Level Graffiti Techniques accusé, par ses détracteurs, d'être à l'origine de la recrudescence du graffiti dans certaines villes américaines.