Sans sombrer dans un anti-américanisme franchouillard de base, on ne peut qu'être surpris par le grand écart opéré par les galeristes, critiques d'art et la justice américaine. Le mouvement graffiti n'a jamais connu une telle médiatisation outre-atlantique. Sa reconnaissance en tant que mouvement artistique semble conduire les forces de l'ordre à poursuivre et à emprisonner encore plus facilement les writers désireux de se faire un peu de pub. Aprés le Los Angeles Times, le Wall Street Journal est revenu sur l'arrestation de Revok (libéré après 44 jours de détention), dans un article de Tamara Audi paru le 26 Mai 2011 que nous avons traduit.
Pour le MoCA de Los Angeles, Revok est un artiste reconnu dont l'œuvre brillante est exposée entre ses murs. Pour le bureau du shérif de Los Angeles, Revok est Jason Williams, alias n°2714221.
Le mois dernier, Mr Williams a été condamné à 180 jours de prison en raison de la violation de son temps de mise à l'épreuve pour un incident lié au graffiti quelques jours après le vernissage d'une exposition majeure dédiée au street art ou figure son travail. Incapable de payer 320 000$ de caution, Mr Williams a été envoyé en prison 4 jours avant la sentence.
Les représentants de la loi du pays poursuivent les graffeurs avec des peines de plus en plus lourdes, le délit est devenu un crime, les peines de prison et les lourdes amendes se multiplient. Au même moment, le monde de l'art et différentes grandes sociétés s'emparent du phénomène comme jamais.
« On peut dire que le graffiti est un mouvement artistique le plus influent depuis les innovations de la fin des années 60. Cette expo est la première de cette envergure qui adopte un point de vue historique ambitieux. »
Jeffrey Deitch, directeur du MoCA.
Les forces de l'ordre voient, elles aussi, ce mouvement d'un point de vue historique :
« C'est vraiment la 1ère fois dans l'histoire de l'application de la loi que nous avons des résultats aussi probants au niveau de l'identification des tagueurs suite à une enquête. Nous sommes en guerre contre le graffiti et nous allons tout faire pour nous en débarrasser. »
Lieutenant Vince Carter, brigade anti-graffiti du shériff.
Ces dernières années, les autorités ne sortaient pas de leur routine pour poursuivre les artistes, la plupart d'entre eux utilise des pseudos pour protéger leur identité.
Maintenant, les forces de l'ordre des grandes villes du pays se partagent les informations, créant de véritables albums photos pour chaque writer. La police peut utiliser des preuves de vandalisme antérieurs pour obtenir des mandats de perquisition et accumuler les charges contre les graffeurs désormais soupçonnés de crime.
Shepard Fairey, le graffiti artiste originaire de Los Angeles, auteur du portrait du président Barack Obama a été arrêté à Boston en 2009 alors qu'il se rendait au vernissage de son exposition. Mr Fairey a été poursuivi pour 30 crimes différents pour avoir collé des autocollants et des affiches sur des panneaux et des rambardes. Mr Fairey a contesté les charges retenues contre lui.
La plupart des charges ont été abandonnées, mais Mr Fairey a été condamné à 2 ans de mise à l'épreuve pour vandalisme, il lui est interdit de circuler à Boston avec des stickers, a déclaré son avocat.
La police s'inquiète que les expositions de graffiti encouragent le vandalisme. Mais la popularité du graffiti a plaidé en leur faveur quand les artistes sont sortis de l'ombre.
« Je pense que, quand les forces de l'ordre peuvent identifier un graffeur reconnu, ils en font une cible. Mr Williams ne se voit pas comme un tagueur ou un vandale mais comme un artiste. »
Ton Chi Nguyen, avocat de Revok
Au MoCA figure un camion de glaces avec une tête de clown fumant un cigare recouvert de graffitis qui a attiré des milliers de visiteurs.
Certains artistes vendent leurs œuvres à des galeries privées ou sur internet. D'autres sont payés pour dessiner des campagnes publicitaires ou des produits spécifiques. Les travaux de Banksy, qui cache son identité, lui ont procuré une renommée internationale et l'ont conduit à réaliser un documentaire nominé aux Oscars. En 2008, Sotheby a vendu une toile d'un artiste modifiée par Banksy 1,8 millions de dollars. Adidas et Pepsi ont payé des graffeurs pour créer des campagnes de pubs pour leurs produits.
Mr Williams est sûrement le seul prisonnier de Los Angeles à avoir été payé pour décorer une veste Levi's (vendue 250$ au MoCA).
Mr Williams, 34 ans, un peintre prolifique à Los Angeles depuis la fin des années 90 a déclaré avoir toujours voulu être un graffeur depuis son adolescence.
Le mois dernier à Los Angeles, il a été arrêté alors qu'il s'apprêtait à embarquer pour l'Irlande ou il était invité à peindre un mur. Mr Williams n'a pas effectué son temps de travail d'intérêt général consistant à ramasser des déchets abandonnés le long de la route et n'a pas payé 3500$ de dommages et intérêts.
Avant son arrestation de 2009, les enquêteurs suivaient sa piste depuis des années.
« Je suis content qu'il ait pu être identifié, arrêté et qu'il doive payer pour ce qu'il a fait »
Randy Campbell, officier de la police de l'autoroute à la retraite qui aide dorénavant les municipalités à éradiquer le graffiti.
Les représentants de l'ordre déclarent qu'ils répondent à une demande de la communauté pour combattre le graffiti. La police n'émet aucun jugement sur sa valeur artistique. Un graffiti sur mur tracé sans autorisation est un crime. La ville de Los Angeles dépense 10 millions de dollars par an pour nettoyer les murs.
« Ces vandales n'ont aucun respect pour la propriété privée. Les graffitis de Mr Williams sont composés de grosses lettres aux couleurs vives avec de belles ombres, c'est un travail presque décent. »
Mr Campbell
Lieutenant Carter, le gourou du département anti graffiti du shérif dit que c'est par curiosité qu'il est allé au MoCA et qu'il a été frappé par la vue d'une épave d'un autobus municipal peint par un artiste nommé Risk.
« Les gens viennent voir ce bus recouvert de graffitis et veulent faire pareil sur d'autres bus. Mon job c'est de les empêcher de faire pareil. »
En ce qui concerne la qualité artistique du reste de l'exposition le lieutenant ajoute :
» je m'abstiendrai d'émettre un jugement. »
On conclut par cette vidéo de Noah Banks, qui a suivi Pose MSK réalisant un Free Revok en caméra subjective :